L'histoire flamboyante du flamenco est faite de grandes individualités, de grands destins souvent chargés de peine, de douleurs et de nostalgies. Mais le flamenco est surtout l'expression musicale d'une région, l'Andalousie,d'un peuple, les Andalous, qui ont créé un art que les gitans ont profondément influencé par leur frénésie de vivre, leur sens de la fête et du spectacle.
Cet art, en perpétuelle évolution, rayonne aujourd'hui dans le monde entier. Il y a dans le flamenco un mystère, un frisson chargé d'une émotion universelle, celle de la voix gardienne du passé d'un peuple, d'une communauté qui nous parle , qui nous émeut, sans que l'on soit ni spécialiste ni érudit en la matière. Tout simplement parce qu'elle nous bouleverse, parce que son langage est celui du ventre , de la mère originelle qui porte tous les hommes, celui de l'âme et celui du coeur, celui que l'on ne pourra jamais enfermer dans aucun système .
Le flamenco est à la fois terrien et aérien : il est ancré dans la réalité la plus triviale, mais aspire à transcender cet état. Le flamenco est une terre fertilisée par tant d'influences orientales et occidentales, à la recherche de ses racines. L'imaginaire inconscient du cante jondo « chant profond », terme dont on se sert depuis le début du XXe siècle pour désigner le flamenco originel , le mystérieux métissage des sonorités andalouses, juives et arabes, en totale communion avec la danse et la guitare, nous transportent à chaque fois au centre de cette envoûtante fête flamenca, familiale et universelle.
Le chant flamenco originel ne s'est pas développé dans un univers musical espagnol inexistant ; au contraire, il s'est nourri des chants et de la musique populaire andalouse. Ses premiers cris ont parfois été solitaires, empreints de la souffrance inspirée par les grandes tragédies universelles de l'homme, et plus particulièrement de toutes les communautés marginalisées ; mais la fête et le sens du partage les ont également illuminés.
Le chant flamenco s'est transmis oralement au sein de clans sociaux bien déterminés gitans, paysans, bandits, gens du voyage , généralement a cappella, mais parfois accompagné de danses au son des tambourins ou des crotales la guitare ne viendra l'enrichir que bien plus tard. Ce qui le rend universel c'est, entre autres, sa thématique et sa densité émotionnelle : l'amour, passion déchaînée et libertine, les malédictions et les menaces, la pauvreté, souvent vécue avec résignation, mais aussi avec fierté et dignité, la mort et la fatalité, l'honneur et la vengeance... Tous les drames de la vie, les sentiments les plus profonds, les émotions les plus intimes constituent la sève nourricière du flamenco.
Aujourd'hui, le flamenco connaît un véritable renouveau et irradie le monde, grâce a l'inventivité des artistes contemporains. Mais il ne suffit pas de s'installer dans un fauteuil pour écouter ou voir du flamenco. Le flamenco est avant tout une façon d'être, une attitude de vie, une expression de l'émotion profonde de l'être humain celle qui ne se calcule pas, ne se classe pas, celle qui jaillit comme le cri, avec passion. Il ne s'agit pas non plus de tomber dans l'autre extrême et de croire que le flamenco n'est qu'une espagnolade, cette caricature colorée, festive et gorgée de soleil que l'on propose aux touristes friands d'exotisme ! Du chanteur El Planeta, de la période primitive, au danseur Antonio Gades et au charismatique et révolutionnaire chanteur Camaron de la Isla, le chemin a été douloureux. Ils ont été nombreux ceux qui, par leur voix, leur guitare ou leur danse ont contribué à structurer cet art sans le momifier, à le polir sans le dénaturer, à le modifier sans le détruire.
Le flamenco appartient désormais à ceux qui lui donnent vie, aux artistes eux-mêmes. Pour vivre le flamenco, il faut s'imprégner de la terre, des chants, des danses, de la musique pour laisser libre cours a l'émotion, pour être envahi par cette exultation qui caractérise le flamenco et qui en fait un élixir de vie aux accents passionnés. La fête flamenca est beaucoup plus qu'un simple divertissement. Où qu'elle se situe, dans la famille gitane, dans un bar ou sur scène, quand le chanteur, la danseuse ou le guitariste sont habités par ce duende, cet état de grâce artistique, elle atteint des sommets d'émotion, libre de tout carcan : l'âme frôle la transe. Il existe peu de musiques, peu de folklores chargés d'une telle intensité musicale et humaine. Rien ni personne ne pourrait expliquer l'impalpable, ces moments d'éternité ou la danse se mèle au chant, tous deux sublimés par la guitare sur des rythmes incandescents qui ébranlent les participants au plus profond d'eux-memes.